actu-match | jeudi 8 septembre 2011
Le 4 avril 1986 vers 20 h 40, un homme est découvert dans un couloir de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, une balle de 11.43 dans le dos. Il s’appelle Ahmed Djouhri, mais est plus connu sous le nom de Monsieur Alexandre. Quelques minutes plus tôt, une fusillade a éclaté à quelques mètres de là, place du Colonel-Fabien. Des douilles de 9 mm ont été retrouvées. Selon un rapport de police que Paris Match a consulté, des analyses effectuées sur les mains de Djouhri concluent que celui-ci a sans doute riposté à son agresseur. Un règlement de comptes qui s’inscrit dans une longue série de « flingages » dans le Milieu. A l’époque, ce Franco-Algérien de 27 ans, parti de rien et originaire de Sarcelles, a ses entrées dans le quartier du Sentier et dans des boîtes de nuit à la mode comme L’Apocalypse. Il y croise Anthony Delon qui vient de lancer sa ligne de blousons en cuir. Devant les policiers, Djouhri ne lâchera presque rien sur son agression. « Il était supérieurement intelligent, on sentait qu’il avait un potentiel incroyable », se souvient un ancien de la Crim’.
Vingt-cinq ans plus tard, Ahmed Djouhri, le banlieusard aux cheveux longs, est devenu Alexandre Djouhri, l’un des personnages les plus protégés de la République, toujours tiré à quatre épingles. Au plus haut sommet de l’Etat, il côtoie Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, ou Claude Guéant, avec qui il dînait il y a encore deux mois. Sans oublier son « ami » Dominique de Villepin et quelques P-DG du Cac 40, comme Serge Dassault, Antoine Frérot (Veolia), Patrick Kron (Alstom). Et, surtout, Henri Proglio (EDF) et son conseiller Michel Roussin, dont Djouhri a suivi le sillage dans les années 80. Très présent en Libye ou en Algérie, souvent décrit comme un intermédiaire dans les contrats d’armement, Djouhri récuse ce terme. Ses proches préfèrent parler de « partenaire », voire d’investisseur, mais impossible d’en savoir plus : l’homme vit dans des palaces – Ritz ou Crillon – et n’a plus aucune société ni adresse déclarée en France. Est-il proche des services secrets ? L’ex-balladurien Didier Schuller dit l’avoir rencontré en 1994 : « On me l’avait présenté comme le chef de l’antenne de la DGSE au Gabon. »
Monsieur Alexandre, qui vit entre Londres, Genève et Paris, est d’une discrétion maladive : jusqu’en 2009, il n’existait aucune photo de lui. Les rumeurs le disent immensément riche, mais là encore, aucun moyen de vérifier l’étendue de sa fortune. « Jamais Alexandre Djouhri n’a été un intermédiaire, jamais il n’a touché la moindre commission ! Notre amitié ne se fonde pas sur le pouvoir, mais sur une forme d’anticonformisme, de lecture du monde », nous déclarait Dominique de Villepin il y a quelques mois. Car Djouhri ne compte pas que des amis dans l’establishment. Ses méthodes, son bagout, l’emprise qu’il exerce sur de hauts responsables politiques et économiques, tout cela inquiète. Le criminologue Xavier Raufer, l’influente Anne Méaux ou l’ancien conseiller à l’Elysée Patrick Ouart se sont violemment opposés à lui. Aujourd’hui, le journaliste Pierre Péan publie chez Fayard une biographie de ce mystérieux personnage intitulée « La République des malettes ». Comment a-t-il fait fortune ? Quels services a-t-il rendus à ces grands commis de l’Etat ? En très haut lieu, l’enquête de Péan a été suivie comme le lait sur le feu. Comme si les réponses à ces questions faisaient peur.