Enseignement supérieur
Le diplôme algérien a-t-il de la valeur ?
Absence de vision politique et déni de la réalité caractérisent le discours du ministre de l’Enseignement supérieur, en poste depuis dix ans. Il va jusqu’à qualifier d’encourageante la dégringolade algérienne.
ElWatan par : Fella Bouredji: Mercredi 26 sept 2012
Plus de 250 000 jeunes Algériens gagnent les bancs de la fac pour la première fois cette semaine. Ils rejoignent près d’un million d’étudiants qui ont déjà eu le temps de se familiariser avec ce grand espace du savoir que n’est pas l’université algérienne. Ils s’en réjouissent pour la plupart, il n’y a pourtant pas de quoi. Près de 2 millions de diplômés leur ont cédé la place en 2012. Près de 2 millions de diplômés qui ne feront, pour la plupart, qu’enrichir les statistiques du chômage. Les universitaires, et surtout les diplômés, sont toujours au top du classement des sans-emploi et l’université algérienne est toujours au top des universités les plus mal classées dans le monde.
Ala 1870e place dans le classement mondial des universités établi chaque année à Shangai et ce grâce à l’université Mentouri de Constantine. L’USTHB est à la 2884e place et l’université d’Alger est au 8842e rang. Une perte de 25% de points par rapport aux années précédentes. Quelles sont les raisons de cette chute libre continuelle ? Manque de moyens, administration gangrenée par les passe-droits, aucune place au mérite et à l’excellence, absence de débats et d’animation culturelle, réformes ratées dont celle du système LMD, mauvaise qualité de formation, insalubrité, insécurité… la liste est longue. Mais il y a avant tout une explication politique très basique. L’absence de volonté politique, justement.
A l’heure où les grandes nations développent des lignes directrices visant à moderniser le domaine de l’enseignement supérieur pour qu’il participe à la croissance économique, en Algérie, on en
est à s’enorgueillir de perdre des places dans les classements mondiaux et à promettre une énième rentrée universitaire qui «se déroulera dans de bonnes conditions». C’est ce qui ressort des
nombreuses déclarations du premier responsable du secteur tout au long de cette semaine.
Des déclarations qui en disent long sur la volonté insolente de garder l’université algérienne dans sa pleine «médiocrité», quitte à verser dans le déni de la réalité.
«L’encourageante» dégringolade de l’Algérie «L’université qui souffre de visibilité est en phase de se rendre visible grâce à l’utilisation optimale des moyens de communication.» Un mot-clé dans cette déclaration récente de Rachid Harraoubia, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique depuis dix ans et nouvellement député FLN : le mot visibilité. L’université manque de visibilité (apparemment pas au sens stratégique du terme, mais plutôt au sens littéral de reconnaissance), alors le ministre veut la rendre visible grâce à des moyens de communication, dix ans après sa nomination à la tête du secteur. Comment compte-t-il faire ? «Il faut favoriser l’utilisation des moyens de communication et d’information pour mettre en valeur les efforts déployés par l’Etat en vue de hisser l’université au rang des universités mondiales de renommée», expliquait-il encore le 20 septembre lors d’un point de presse improvisé à Constantine. Il s’agirait donc de louer, vendre, faire de la propagande sur «les efforts de l’Etat» ? Il semble que c’est bien de cela qu’il s’agit, étant donné que le ministre a qualifié, dans la même journée, «d’encourageante» la dégringolade de l’université algérienne dans le dernier classement mondial des universités. Dire que tout va pour le mieux quand tout va mal, c’est tout un programme pour sortir l’université algérienne de son marasme reconnu mondialement.
L’absence de vision de Harraoubia
M. Harraoubia a également déclaré, cette semaine, avoir «gagné la bataille de la quantité et s’emploie désormais à appliquer la conformité avec les exigences actuelles en mettant à la
disposition des étudiants des équipements de qualité et un encadrement de référence».
Très facile de parler d’équipements de qualité et d’encadrement de référence quand on refuse de voir que nos universités sont sales, en grande partie délabrées et devenues un haut lieu de
démotivation, notamment lié à l’insécurité. A tel point que les enseignants autant que les étudiants ont de quoi frôler la dépression.
L’Algérie dégringole dans les classements et c’est mérité. Même si M. Harraoubia n’est pas d’accord. Pour lui, le rang de l’Algérie est encourageant, car «l’université algérienne est arrivée à se faire une place parmi les universités du monde, en dépit des points comptabilisés en sa défaveur». Une vision des choses très décourageante. Le ministre de l’Enseignement supérieur a trop usé de rhétorique à travers les nombreuses déclarations qu’il a faites cette semaine, justement marquée par la rentrée universitaire 2012/2013. Tellement qu’il a inéluctablement versé dans l’incohérence.
Celle-là même qui caractérise l’université algérienne, tiraillée entre plusieurs langues, souffrant d’un désordre inquiétant et surtout de diplômes en dévaluation progressive. Rachid Harraoubia
dirige l’université algérienne depuis dix ans, en tant que ministre. Maintenant qu’il est en plus amené à prendre en charge ses responsabilité de député. Le découragement est permis.