Les défis de l’intégration.
L’immigration maghrébine au Québec :
Par Blednet
Tel a été le thème de cette importante journée d’études qui s’est déroulée le 30 novembre 2007 à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) à l’initiative de M. Saïd Bergheul, chercheur post
doctoral au CICC (Université de Montréal) et coordonnée par MM Rachad Antonus, professeur au département de sociologie de l’UQAM et M. Salah Ferhi, Chercheur associé, CRIEC (UQAM).
C’est à un panel de choix qu’ont été convié les 150 participants qui ont eu droit à des points de vues qui ont enrichi le sujet qui fait tache d’huile depuis que Mario Dumont, cet artificier et
apprenti sorcier, a jeté un pavé dans la mare en se prononçant sur le thème de l’immigration, estimant que le Québec a atteint son niveau de saturation. C’est ce cheval de bataille que les ploucs
d’Hérouville ont enfourché pour déclamer dans un document, remis à la commission Bouchard- Taylor, les plus grosses idioties, qu’un journaliste a qualifié de « torchon d’Hérouville ».
À l’évidence, les sujets abordés au cours de cette journée par les différents intervenants auraient eu un retentissement autrement plus important en ces moments ou cette immigration subit des
attaques malveillantes d’acteurs politiques et de certains médias qui ont excellé dans la manipulation de faits somme toute anodins et montés en épingle pour devenir « La crise identitaire
du Québec ! »
Au moment ou les travaux de la commission sur les accommodements raisonnables s’achèvent, la conférence est venue à point nommé nous rappeler les nombreuses faces cachées de cette immigration qui
n’a pas fini d’en baver mais qui recèle de nombreux atouts que seul l’avenir nous dira si les obstacles auxquels elle fait et fera face encore dans ce Québec qui perd quelque peu de son image de
société ouverte, tolérante et qui a besoin de l’immigration pour se renouveler.
Pour nos lecteurs, auprès desquels nous nous excusons, de n’avoir pu participer pour leur rapporter les termes du débat nous leur livrons ci-dessous les résumés des différentes interventions que
les organisateurs ont bien voulu nous remettre.
Résumés des interventions.
Salah Ferhi, Chercheur associé, CRIEC, UQAM
QUELLE PLACE POUR LES IMMIGRANTS MAGHRÉBINS AU QÉBEC ?
Le Canada est depuis quelques décennies la destination privilégiée des Maghrébins. Le Québec est leur destination finale. Leur nombre croît sans cesse. Le désir de
réussir une promotion sociale et professionnelle est à l’origine de ce choix. Les maghrébins sont instruits, souvent hautement qualifiés et avec une grande expérience professionnelle.
Leur sélection s’est faite sur ces points là et auxquels il est ajouté la connaissance du français. Or il semblerait qu’une partie de cette communauté a du mal à
trouver sa place au sein de la société d’accueil. L’accès à l’emploi n’est pas une chance donnée à l’ensemble des maghrébins. Ces derniers sont victimes de la non reconnaissance de
leurs diplômes, la discrimination. Toutefois, il existe au Québec des maghrébins qui ont réussi leur intégration professionnelle. La présente étude se donne pour mission l’analyse de la situation
difficile de l’immigration. Elle tentera de mettre l’accent sur l’évolution du phénomène migratoire chez la communauté maghrébine tout en essayant d’expliquer son malaise
Kamal El Batal, agr., M.Sc., PostMBA., Doctorant en Administration des affaires
(DBA), Universités du Québec à Trois-Rivières et de Sherbrooke.
LE PROCESSUS MIGRATOIRE ENTRE L’AMBITION ET LA REALITE.
Par définition, la migration humaine est un processus enclenché principalement par la recherche d’un mieux être. En effet, tout individu, toute famille qui décide à
un moment de sa vie d’aller vivre hors de la société mère (patrie), a éprouvé un sentiment légitime de vouloir réussir une nouvelle vie dans un contexte social, politique et économique différent
que celui de la société d’origine. Un nouveau mode de vie qui a comme objectif premier la réalisation et l’épanouissement. Partant de cette décision nourrie
par un sentiment d’ambition, voire même, de rêve pour certain, la réalité de la société d’accueil risque de brimer cette ambition et du coup, donner naissance à certains à des formes d’handicaps
menant vers la désintégration sociale et culturelle, la ghettoïsation et la fermeture sur soi.Le principe de la citoyenneté, la flexibilité de l’émigrant à
l’égard de son processus d’insertion et d’intégration et le degré d’acceptation de la société d’accueil seraient des éléments précurseurs pour la réussite de tout processus migratoire
Touhami Rachid RAFFA , Président du Carrefour Césame, Québec.
ENTRE ASSIMILATION ET GHETTOISATION, LE CHEMINEMENT ARDU DES MAGHREBINS DU QUEBEC VERS L’INTEGRATION.
APPROCHE EMPIRIQUE.
Même s’il n’est pas aisé de discourir sur « les Maghrébins » qui présentent une grande diversité de manières de vivre et de liens entre eux et dans leurs
rapports à la société d’accueil, certaines tendances se dégagent alors que plusieurs autres caractéristiques apparaissent sous le regard de l’observateur familier d’une
« communauté » qui a du mal à se constituer en tant que telle. Elle en effet marquée par une diversité étonnante – non dénuée de divisions et de fractures – l’illusion du retour au
pays d’origine, le risque assumé ou craint de l’assimilation, la tentation de repli identitaire de nature religieuse et culturelle, l’espoir d’une vie meilleure pour les descendants, les
souffrances dues à la discrimination, à l’arabophobie et à l’islamophobie ambiantes et agissantes…
Obstacles internes et embûches externes marquent donc le cheminement parfois pénible des Maghrébins vers l’intégration et la dignité citoyenne. Le présent article
n’a pas d’autre ambition que de cibler la plupart de ces écueils dans le but de contribuer à éveiller une prise de conscience salutaire.
Abdelaziz Chergui, Psychiatre, Directeur de la clinique transculturelle, Hôpital Jean-Talon,
Montréal
LES FAMILLES MAGHREBINES ENTRE CONTRAINTE À L’INTEGRATION ET FIDELITE A L’ORIGINE.
L'immigration maghrébine au Québec est une immigration récente. Il s'agit d'une immigration majoritairement choisie qui se caractérise par sa francophonie, son
niveau élevé d'éducation et sa capacité d'adaptation. Malgré cela, cette communauté connaît un des plus hauts taux de chômage et un certain nombre de familles se voit déstructurées par la
violence, le divorce, le placement légal des enfants ou la délinquance de ces derniers.
Notre pratique quotidienne à la Clinique transculturelle de l'hôpital Jean-Talon nous permet de mesurer toute l'ampleur de la souffrance de ces familles qui, non
seulement se voient sous la contrainte de s'intégrer mais se retrouvent également arrachées à leurs ancrages familiaux et socio-culturels. L'accueil de ces familles, dans un cadre structuré
avec une prise en charge ethno-psychanalytique leur permet de mettre des mots sur leur souffrance et de donner du sens aux traumatismes et aux désordres qui les frappent.
Noureddine Razik, Criminologue .Commissaire aux Libérations Conditionnelles au Ministère de la
sécurité/Québec. Spécialiste en protection et réadaptation juvénile au Ministère de la santé et des services sociaux/Québec
LA CRISE IDENTITAIRE CHEZ LES JEUNES MAGHREBINS VIVANT AU CANADA.
La jeunesse maghrébine au Canada n'est pas en marge de sa communauté, malgré la compatibilité linguistique à un Québec francophone, le décalage
culturel provoque des remous, parfois au sein même de la famille maghrébine. Cette réalité constitue une problématique que gère un conseiller social auprès de cette communauté. Noureddine Razik,
un criminologue de formation qui oeuvre au sein des centres jeunesse est dans le feu de l'action depuis une vingtaine d'années. Outre ses interventions et ses articles, il donne des conférences
et organise des tables rondes, autour de la problématique de la jeunesse maghrébine au Canada. La Loi de la Protection de la Jeunesse, la Loi sur le Système pénale de justice pour adolescents, et
autres mesures sont des sujets que cet intervenant tente de démystifier auprès d'une communauté et d'une jeunesse maghrébine qui cherchent à s'adapter, à intégrer non sans
difficultés. L'exposé de Noureddine Razik sera alimenté par son expérience de travail de terrain auquel, il se donne corps et âme depuis plusieurs années.
Marie-Andrée Bertrand, Professeure émérite, chercheure au Centre international de
criminologie comparée, Université de Montréal
La pratique religieuse comme instrument d’auto-exclusion
Les dispositions de la Constitution canadienne et des chartes des droits garantissent la liberté de religion et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient
leur origine ethnique et leur appartenance religieuse mais ne disent pas tout de la culture canadienne ni de celle, particulière, du Québec, lieux d’accueil de plusieurs centaines de milliers de
Maghrébins. La culture québécoise est fortement marquée par trois valeurs : une préoccupation constante de vivre des rapports d’égalité entre les sexes, des pratiques démocratiques bien
ancrées qui ne souffrent pas de dominance des chefs religieux, une aspiration aussi forte et historiquement déterminée à la laïcité dans l’espace public et les institutions d’État. Ces trois
valeurs sont profondément heurtées par les comportements et les attitudes des maghrébins qui choisissent d’interpréter le coran comme imposant des habitudes de vie et un calendrier de travail
allant contre les coutumes de travail lois en vigueur, des règles vestimentaires, une soumission aux chefs religieux et aux maris qui nient l’égalité entre les sexes et
l’affranchissement de l’état de la domination des églises. Lorsque à l’affirmation dans l’espace public de cette dissidence quotidienne s’ajoute la réclamation de régimes d’exceptions
par les tribunaux ou les directions d’établissements publics, les Maghrébins, ou certains d’entre eux, ou les représentants de leurs groupes radicaux pratiquent l’auto
exclusion, ils et elles s’auto marginalisation, des comportements dont il est urgent qu’ils étudient eux-mêmes la source et les conséquences puisqu’ils viennent contredire le choix délibéré d’une
terre d’accueil qui ne va pas sans une culture nationale.
Jean-René Milot, Professeur associé, Département des sciences des religions, chercheur au GRIMER et au
CRIEC à l’UQÀM. UQAM.
Le rôle du facteur religieux dans la recomposition identitaire chez des musulmans d’origine maghrébine de Montréal
Cette communication se propose de présenter les premiers résultats de la recherche effectuée dans le cadre du projet GRIMER (Groupe de recherche interdisciplinaire
sur le Montréal ethno-religieux, UQAM). Par un recoupement de diverses variables, des entrevues menées auprès de musulmans immigrants originaires du Maghreb permettent d’analyser le rôle joué par
l’appartenance religieuse et par l’appartenance ethnique de ces individus dans le processus de recomposition identitaire et de positionnement par rapport à la société d’accueil. On apprend ainsi
comment leur migration a pu modifier leurs pratiques religieuses, l’importance qu’ils y attachent et leur implication dans le réseau religieux; comment ils s’identifient au plan ethnique et
quelle est leur degré d’implication dans leur communauté ethnoculturelle; quelle est l’échelle de valeurs religieuses et culturelles qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants; quelle est
l’interaction entre, d’une part, leur identité ethnique et religieuse et, d’autre part, leur réseau social et leur milieu de travail; comment ils comparent les rapports de sexe vécus au Québec
avec ceux de leur pays d’origine; enfin, comment ils identifient les points de clivage et les points de rencontre entre leur identité ethno-religieuse et la culture de la société
québécoise.
Saïd Bergheul, Chercheur Post doctoral au CICC. U. de Montréal
Résilience des familles maghrébines au Québec
Cette communication vise à étudier le fonctionnement des familles maghrébines au Québec mises en difficulté par le processus d'émigration. Ce processus réalise
toujours une rupture de contexte: répartition / coupure avec la culture et les valeurs du pays d'origine, et confrontation plus ou moins brutale avec une autre culture. Un traumatisme
supplémentaire est à considérer lorsque, de surcroît, cette émigration survient dans un contexte de violence et/ou de pertes d'un ou plusieurs membres du groupe familial du fait de la guerre, de
tortures, de persécutions. La notion de résilience appliquée à la famille revêt un grand intérêt, d'une part parce qu'elle permet des interventions visant à accroître les compétences au sein des
familles, d'autre part parce que les conclusions qu'on peut en tirer peuvent être élargies à un groupe, à une communauté tout entière confrontée à l'adversité.
Rachad Antonius, Professeur, Département de sociologie, UQAM
Dynamiques politiques maghrébines et peurs identitaires québécoises
Une grave illusion d’optique déforme nos perceptions des dynamiques d’intégration des populations musulmanes maghrébines au Québec. Une mise en scène médiatique a
présenté les musulmans à travers quelques cas de demandes extrêmes montées en épingle ainsi qu’à travers des individus fort controversés présentés comme LES porte-parole des musulmans et, dans un
deuxième temps, a donné la parole aux québécois les plus alarmés par ces cas extrêmes, et dont l’inquiétude prends parfois un ton hostile qui frôle le racisme. Or ces perceptions faussées ont des
conséquences réelles de polarisation, qui deviennent possibles à cause justement de franges radicales de part et d’autre qui établissent les termes du débat. Ce sont ces dynamiques sur lesquelles
nous voulons nous pencher, pour tenter de les comprendre, de les déconstruire, de les désamorcer, et de recentrer le débat sur l’intégration autour d’enjeux socio-économiques, et dans des termes
plus sereins.
Farida Osmani, Ph. D Sociologie. Chargée de cours au département de Service Social, Université de
Sherbrooke
Le défi de l’intégration des Québécoises d’origine maghrébine
Les québécoises d’origine maghrébine représentent une proportion importante de l’émigration surtout de celle de la dernière décennie. Un intérêt médiatique
aussi soudain que soutenu les soumet à une assignation identitaire négative en lien avec leurs communautés arabes et musulmanes d’appartenance.
Pour mieux apprendre à les connaître, il serait intéressant de dresser un aperçu historique, démographique et sociologique de la présence des québécoises
d’origine maghrébine en tenant de souligner leurs caractéristiques, leurs apports à la société malgré les obstacles rencontrés. Ainsi, certaines d’entre elles sont très actives et se sont
démarquées professionnellement dans la vie publique. Cependant, les données d’ensemble indiquent qu’au niveau économique, elles semblent marginalisées si l’on se fie au taux élevé
de chômage qui les affecte.
Quelles perspectives s’offrent-elles alors à elles ? La poursuite de stratégies individuelles de mobilité sociale et professionnelle peut-elle encore
assurer à la fois leur autonomie et leur participation active à la société dans le contexte actuel de privatisation croissante et de précarité ? Ou bien, devront-elles recourir
aux ressources de la communauté d’origine pour réaliser une forme de socialisation aussi bien personnelle que celle de leurs familles ?
Autrement dit leur exclusion du marché du travail et de la vie publique (dont il est de plus en plus question pour les femmes voilées) ne risque-t-elle pas de les
renvoyer à un certain communautarisme qui compromettrait l’exercice de leur citoyenneté alors qu’il semble être déterminant dans leur projet migratoire ? Ces questions soulèvent la
pertinence de mener des analyses en termes d’intersection genre et racisme lorsqu’il s’agit de participer au débat actuel sur l’enjeu de l’intégration des immigrants dont celui des femmes
d’origine maghrébine à la société québécoise.
.
Lilyane-Zina Rachedi, Professeure, École de travail social, UQAM.
Envers et contre toutes les assignations : écrivains maghrébins et identités
On sait que les contextes sociopolitiques et les contingences historiques demeurent des déterminants significatifs dans la place accordée aux étrangers dans une
société d’accueil (place économique, sociale, politique, etc.). Dans l’univers symbolique de la littérature, pour les immigrants qui sont aussi des écrivains, on constate un aspect
intéressant : Minorités littéraires et « ethniques » le parcours des auteurs maghrébins au Québec amènent un autre regard sur la construction identitaire des immigrants. Parce
qu’ils occupent une tribune publique, les assignations identitaires dont ils sont l’objet, sont visibles et traduisent une certaine forme de marginalisation de cette littérature issue de
l’immigration. Dans cette communication, nous montrerons comment à travers des récits de trajectoire migratoire et d’écriture d’auteurs maghrébins, des identités se déploient pour réagir
face à toutes les formes de catégorisation à leur égard.
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