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MADINA


Chronique du jour :

Publié par albra alhambra sur 8 Janvier 2008, 03:11am

  
 
 
M. Abdelhamid Mehri a le sens de la mesure et de la formule. Il relève, en le déplorant, qu’un usage consacré «pense l'Algérie en tant que présidence» et reporte ou évite carrément de la «penser en termes d'Etat». Bien plus, regrette-t-il encore, «la réflexion sur la présidence, elle-même, est davantage centrée sur la personne du président plutôt que sur l'institution présidentielle». Dans les sociétés archaïques, par ailleurs encore fortement marquées par les scories du féodalisme, le pouvoir, centrifuge, se ramène à la personne du chef.
Aussi, en Algérie, au-dessus des normes écrites, se trouvent les normes non écrites qui le confirment. Cet absolutisme n’est au demeurant pas propre à notre pays. Le message de M. Mehri invite, à juste titre, à ne pas focaliser sur les personnes. A juste titre parce que la plus belle femme au monde ne peut donner que ce qu’elle a et les personnes, aussi bien-intentionnées soient-elles, finissent toujours par être otages du système lorsqu’elles ne sont pas tributaires de ses lignes rouges. Cet héritage plaide pour «le dilemme du prisonnier» qui, en théorie, relate le cas où, craignant le comportement opportuniste de celui auquel il est confronté, le joueur choisit une solution qui minimise les risques, même s'il peut tirer meilleurs profits et avantages s'il était en situation de coopération ou de confiance. De la même manière, aussi exécrables qu'elles soient, si elles n'avaient pas été là, d'autres auraient certainement fait à peu près la même chose. Ce sont les forces sous-jacentes qu'il importe de sérier en termes de système. Ce dernier, bien que toujours en cours de maturation, gagne en cohésion et en cohérence, en raison tout autant de son caractère oligarchique et de l'habitus qui s'installe en son sein que de son «endogamiehomogamie » hors de toute possibilité de réaction de l’institution présidentielle. Le binôme «endogamiehomogamie » évoque la cohérence humaine que recèle le système du fait des relations de sang (et d'affaires aussi) qui se nouent à l'intérieur du groupe, qu'il soit un clan, une tribu ou une caste, alors que l'habitus révèle ce qui se profile comme manières d'être et comme façons de faire et de réagir communes à ce groupe. L'oligarchie est ce qui oppose le groupe à la démocratie parce que le pouvoir réel se transmet en son sein. Inutile de préciser qu'en l'espèce, l'autoritarisme que cela génère est aveugle, cupide et grossier. Il y a là un thème majeur à cogitation que n'autorise pas encore le besoin d'opacité inhérent à la jeunesse et à la fragilité du groupe. Le faire, c'est toucher à son intimité et s'exposer à des réactions imprévisibles. A ce titre, «la maison de l'obéissance», par laquelle Abdelhamid Mehri désignait, dans une autre intervention publique, l'enclos réservé à l’institution présidentielle par le système né de ses cendres au lendemain de l'Indépendance, mérite plus qu'un simple survol de chroniqueur. Elle suggère qu'on s'intéresse à ce qui est tapi derrière la vitrine, c'est-à-dire la boutique et l'arrière-boutique. Y séjournent, hors de toute échéance électorale et de tout contrôle, les programmeurs de carrière et les distributeurs de rôles et de rentes. Elle suggère aussi qu'entre l’institution présidentielle et le système, le rapport est plus que charnel et que toute volonté d'affranchissement de celui qui l’incarne est vite associée à la fugue, voire à l'adultère, de la femme mariée, la sanction tenant à sa mise en quarantaine et, premier avertissement, à de frivoles relations avec une tierce personne. Nombre de valeurs unissent ce couple bien vieillissant, quelque peu pervers et naturellement bruyant. Derrière les tumultes de l'âge, il y a bien entendu des mutations. La première, et non des moindres, est cette volonté désespérée de se mettre au goût du jour, celui de l'économie de marché, en s'appropriant, sans trop savoir comment, des biens jadis indivis. La vieille thèse boumédiéniste de «qui veut faire fortune libère le pouvoir» a subitement cédé au profit du «pantouflage», une expression par laquelle on désigne aujourd'hui le transfert fulgurant d'un fonctionnaire ou d'un gestionnaire du service ou du secteur public à une fonction privée, de propriété ou de gestion, dans un domaine en relation avec son activité antérieure. En Algérie, «le pantouflage» est monnaie courante et nul ne s'en inquiète outre mesure. Ailleurs, on s'efforce de le juguler pour s'épargner des conflits d'intérêt et, surtout, pour préserver la confiance dans les institutions publiques. L'esprit d'initiative propre à une économie de marché réellement concurrentielle est férocement réprimé, tout autant que l'expression libre, critique et constructive. A défaut de valoriser l'individualisme, l'économie de bazar nourrit l'anomie, au sens que lui donne Émile Durkheim de trouble social exprimant l'indifférence d'une personne à l'égard de la société ou son incapacité à s'inscrire dans les règles qui en assurent le bon fonctionnement. Les matrices néocoloniales de l'ajustement externe sont venues se greffer à une situation politique interne digne du stalinisme où le pluralisme en vigueur tient à un alignement inconsidéré de formations issues du même moule, des mêmes intérêts et des mêmes pratiques. L'autorité se veut sûre, dure et entière. En cela, nous nous sommes peut-être trop hâtivement rassurés d’avoir jeté dehors les petits piedsnoirs sans avoir réussi à mettre à terre le système colonial, toujours là, avec en sus le lourd héritage de la régence. Comme si le nationalisme a libéré les espaces géographiques colonisés et peine à construire des Etats viables et à développer des consensus durables en d’autres matières. Pour des raisons d’image, notamment internationale, à l’exception de l’assassinat de Boudiaf et de la disparition de Boumediene, le système a souvent évité le pire, mais il a entaché toutes les fins de mandats présidentiels par ce que M. Mehri appelle gentiment «un flot d'accusations et de critiques». «Des voix s'élèvent alors, par conviction ou par conformisme, pour lui faire assumer, seul, la responsabilité de l'impuissance, des erreurs, du marasme, des déviations et des dépassements qui ont eu lieu dans le pays au cours de sa magistrature». Qu'il s'agisse des campagnes de glorification ou de celles de dénigrement, les voix d’opportunistes sont les plus fortes. Elles occultent «tout débat sérieux sur l'évaluation du système de pouvoir établi depuis l'indépendance, de ses institutions, des programmes et des politiques suivies durant l'étape précédente dans la gestion du pays». De fait, ces pratiques sont la preuve éclatante que les institutions n’expriment pas la volonté du peuple, ne sont pas démocratiques, représentatives et efficientes. Ces institutions favorisent toujours le droit de la force et non la force du droit, inscrivant notre pays au stade initial d’une maturation que nombre de futurologues pensent en trois étapes (la violence, l’argent et l’information). Les compromis et les accords qui se construisent sur ce paramètre n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Ainsi en est-il de la formule adoptée en matière de réconciliation qui n’est pas la meilleure. A son arrivée au pouvoir, l’équipe Zeroual devait affronter 37 000 terroristes. A son départ, elle en laissé 5 000. Aujourd’hui, elle ne veut pas croire au phénomène kamikaze, favorisant la thèse de la manipulation à distance de convoyeurs innocents. Ceux qui lui ont succédé avaient un espace de manœuvre plus confortable, mas ils ont oublié que si dans leur camp «la politique est un sport d’escrocs », dans l’autre camp elle n’est que ruse parce que «tout traité de paix signé avec les infidèles est une trêve pour préparer la guerre». D’aucuns jugeront alors excessives les concessions, notamment pécuniaires, faites aux auteurs d’actes terroristes. Le constat ne vaut pas seulement pour le président Bouteflika, si tant est qu’il ait donné plus qu’une caution politique à des accords déjà prêts avec l’AIS, et ce n’est donc pas sa personne qui est ici en cause. Il n’y a pas l’ombre d’un doute que Bouteflika est une variante, peut-être la dernière, d’un nationalisme, certes autoritaire, mais foncièrement attaché à la souveraineté nationale et à la matrice religieuse de la révolution armée. On peut notamment le vérifier à l’aune de la question des binationaux. Il faut se «méfier de tous ceux qui ont la double nationalité. [...] La France est partie, laissant ses agents en Algérie», déclarait récemment le tonitruant Djamel Ould Abbas, ministre de l'Emploi. Emboîtant le pas au chef de l'Etat qui, en juin dernier, accusait les binationaux de mépriser l'Algérie et les menaçait de leur retirer la nationalité algérienne. Une menace lue comme une réaction au chiffre avancé par le consulat de France à Alger, affirmant que 100 000 Algériens avaient demandé à être réintégrés dans la nationalité française en 2005. Le chiffre avait irrité le président contre ceux «qui veulent gagner sur les deux tableaux». La prolongation du mandat du président, à la faveur d’un énième amendement constitutionnel, sert le maintien du système de pouvoir et conforte, entre autres, la thèse islamiste fort pernicieuse et mortelle : «La mithak la doustour, kal Allah kal Arrassoul». Pourquoi ? Parce que triturer une énième fois la Constitution revient à leur donner raison. Le faire, c’est leur concéder une double victoire : idéologique et institutionnelle. «Le problème central qui se pose aujourd'hui n'est pas, simplement, le choix d'un homme, capable de résoudre les problèmes du pays, mais l'édification d'un système de gouvernement» qui restitue l’initiative aux citoyens, conclut M. Mehri. Il n’y a rien à rajouter.
A. B.
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