Un nouveau modèle de consommation s’établit en Algérie.
Il exclut de plus en plus la production.
par Abed Charef Quotidien d'oran
Le Salon de l’automobile offre un fabuleux spectacle. De superbes bolides voisinent avec des véhicules au prix modeste destinés à une clientèle plus large, le tout encadré par de charmantes hôtesses dans un décor du dernier chic. C’est le rêve à portée de main pour des milliers d’Algériens qui se rendent à la « foire » pour voir, s’informer, et parfois acheter. L’intérêt du citoyen est légitime. Dans une société qui s’habitue à la consommation, posséder une voiture n’est pas un luxe.
C’est une simple aspiration, justifiée, à un mieux-être. L’offre commerciale s’est adaptée aux revenus des Algériens, grâce à l’arrivée massive de voitures à bas prix, qui explique le succès des véhicules du genre « Marutti », mais grâce aussi à l’explosion du crédit qui a pris une ampleur exceptionnelle en quelques années.
Mais derrière cette évolution majeure dans l’utilisation de l’argent des Algériens, il y a des phénomènes économiques de fonds qui s’installent dans le pays, et qui suscitent une vive inquiétude. Ils ne sont pas liés uniquement à l’automobile, mais à l’ensemble des produits destinés aux ménages, qu’ils s’agissent de l’électroménager ou des offres touristiques. On assiste en effet à une utilisation massive de l’épargne nationale pour le financement de produits étrangers, le marché algérien se résignant de plus en plus à la consommation. Pour l’automobile, on est passé à des importations qui atteignent le seuil de 200.000 véhicules, représentant deux milliards de dollars par an, contre une production nulle. Et il n’y aucun projet viable d’industrie automobile à l’horizon. A terme, avec l’arrivée massive des véhicules chinois et indiens à bas prix, il ne sera plus possible d’envisager d’entrer dans ce créneau. L’Algérie devient définitivement non compétitive, ne possédant ni le management, ni l’organisation, ni les réseaux commerciaux, ni, surtout, politique, économique ou industrielle.
Entre-temps, le système de consommation mis en place permet à ces entreprises étrangères de drainer une part croissante de l’épargne des particuliers. Ceux-ci, en achetant à crédit, hypothéquent librement leurs revenus sur plusieurs années. Entre le véhicule, le téléphone portable, l’électroménager, le consommateur trouve suffisamment de débouchés pour dépenser une partie croissante de ce qui pourrait constituer son épargne. Autant d’argent en moins consacré à l’investissement. Le crédit, fourni par des banques algériennes, ou installées en Algérie, sert ainsi à financer les constructeurs et fabricants, qui trouvent l’argent nécessaire pour maintenir ou améliorer leur cadence de production. Même si le marché algérien reste marginal dans la production des géants de l’automobile, par exemple, il n’en représente pas moins ces petits pourcentages qui permettent d’afficher un ou deux points d’augmentation de la production. Mais le résultat final est un transfert massif de l’épargne des Algériens vers l’étranger. Cette épargne derrière laquelle courent, ailleurs, toutes les banques du monde, est désormais structurellement contrôlée par des opérateurs se trouvant hors du pays. Dans certains secteurs, comme la téléphonie mobile, elle touche toutes les catégories sociales et toutes les catégories d’âge. En envoyant un SMS, un adolescent devient lui aussi une cible et un acteur, qui contribue à transférer de la petite monnaie vers une entreprise étrangère. Mais quand cent millions de SMS sont transmis en un week-end, cela devient une fortune.
Ce mouvement de transfert massif de l’épargne et des revenus du pays de manière générale, risque de s’amplifier durant les prochaines années, sous l’effet conjugué de quatre grands facteurs. En premier lieu, de nouvelles habitudes de consommation se sont installées dans le pays, et leur marge de progression reste importante. Ensuite, les fournisseurs de crédits et de produits y ont trouvé des facilités telles qu’ils exerceront les pressions nécessaires pour les maintenir et les renforcer. En troisième lieu, aucune alternative pour favoriser l’émergence d’une production nationale n’est en vue. Enfin, assis sur une solide réserve de devises, le pouvoir semble avoir définitivement abandonné l’idée d’influer sur l’évolution de l’économie du pays. Il a opté pour la voie la plus facile, celle d’accorder toutes les facilités nécessaires pour les importations massives.
Et quand les produits ne sont pas « importables », comme dans le domaine des services, les Algériens sont invités à aller en bénéficier ailleurs. Ceci est particulièrement valable pour le tourisme et la santé. A raison de mille dollars par personne, le million d’Algériens qui se sont rendus en Tunisie en 2007 ont transféré un milliard de dollars. Comment renverser la tendance ? Ce sera évidemment le casse-tête pour le pays pendant les quinze prochaines années. L’effort est si gigantesque qu’il en devient décourageant. Et puis, surtout, il est tellement plus simple de se contenter de distribuer l’argent, de vendre du rêve au Salon de l’automobile et de l’évasion en Tunisie !
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