Le naufrage d'un régime

Livre du jour

Le naufrage d'un régime, par Bertrand Le Gendre

LE MONDE | 17.10.08 | 13h26  •  Mis à jour le 17.10.08 | 13h26

La monumentale Histoire de la IV^e République, de Georgette Elgey, touche à sa fin. Voici que paraît le cinquième volume, l'avant-dernier d'un récit sur lequel l'historienne travaille depuis 1962. Pour expliquer ce délai, l'auteur, 79 ans, invoque son refus "plus ou moins conscient" de raconter "la descente aux enfers" d'un régime qu'elle juge injustement décrié.

Cette empathie n'interdit ni la lucidité ni la sévérité. On le mesure à la lecture de ce gros livre qui va de l'installation à Matignon, le 31 janvier 1956, du socialiste Guy Mollet à la démission du gouvernement de Pierre Pflimlin (MRP) le 28 mai 1958. Une démission aux deux sens du terme des caciques de la "IV^e", à quelques exceptions près. Un naufrage collectif qui ouvre la voie au retour au pouvoir du général de Gaulle quatre jours plus tard.

Georgette Elgey a longuement traité dans le volume précédent de l'expédition de Suez. Si bien que celui-ci est entièrement tourné vers la crise algérienne à laquelle les hommes de la "IV^e", divisés, pusillanimes, impuissants, doivent la trace détestable qu'ils ont laissée dans l'histoire. Beaucoup d'entre eux sont compagnons de la Libération ou d'anciens résistants : Guy Mollet, René Pleven, Félix Gaillard... Mais l'Occupation ne leur a pas servi de leçon. Ils refusent aux Algériens leur liberté et couvrent l'usage de la torture dont les hommes de Massu, Bigeard et Aussaresses ont fait une habitude.

Ces trois années de "descente aux enfers" sont dominées par la figure de Robert Lacoste, résistant lui aussi, grand admirateur de De Gaulle, un militant d'une loyauté sans faille à la SFIO, sa "maîtresse depuis trente ans". Guy Mollet l'envoie à Alger en février 1956 comme ministre résidant et lui octroie bientôt tous les pouvoirs, faute d'avoir pu imposer à ce poste le général Georges Catroux, haï par les Européens.

Elu de la Dordogne, Robert Lacoste ne connaît rien à l'Algérie et s'en fait vite une idée fausse. Il considère que la France est en guerre, que la fin justifie les moyens et accable de ses sarcasmes les "babouins universitaires" qui, tel Pierre Vidal-Naquet, voient les choses autrement.

Il séjourne en métropole lorsque son adjoint, couvert par le secrétaire d'Etat à la défense nationale, décide d'obliger un avion marocain à atterrir à Alger. L'appareil transporte Ahmed Ben Bella et trois autres chefs du FLN. Les voilà aux mains des autorités françaises sans que le chef du gouvernement ait été informé. La presse à beau se féliciter de cet arraisonnement, c'est une énorme bourde. Comme le note Georgette Elgey, elle soude les différentes fractions du FLN jusque-là divisées et confère à Ben Bella "une stature nouvelle (de) héros".

La situation en Algérie empire de jour en jour. L'heure de De Gaulle approche. A pas comptés. En 1955 encore, sept jeunes Français sur dix le croyaient mort et 1 % seulement des électeurs souhaitaient le voir revenir au pouvoir...

Beaucoup d'ouvrages avant celui-ci ont raconté les treize complots du 13 mai, ce fameux mardi où, à Alger, avec la complicité de l'armée et des gaullistes, les activistes de l'Algérie française ont fait chuter la IV^e République. Georgette Elgey ne prétend pas à des révélations fracassantes. Elle ne tranche pas non plus le point de savoir si de Gaulle a usé habilement des événements ou s'il est l'auteur d'un coup d'Etat à blanc. Trop d'événements se sont entremêlés à Paris et à Alger pour qu'il soit facile de se prononcer.

Georgette Elgey réserve sans doute le meilleur d'elle-même pour son ultime ouvrage qui sera consacré à l'oeuvre du gouvernement de Gaulle (de juin 1958 à janvier 1959), le dernier, officiellement, du régime. Le chant du cygne de la "IV^e".

Histoire de la IV^e République : la fin, de Georgette Elgey
Fayard, 980 pages, 39 €

Bertrand Le Gendre