à la journée d'études sur l'union méditerranéenne:
L'Algérie n'a pas les capacités pour mettre en œuvre cette démarche
Mouloud Hamrouche a participé, en compagnie, notamment, de MM Smaïl Hamdani, ancien chef du gouvernement, et Hubert Vedrine, ancien ministre français de affaires étrangères, à une journée
d'études sur l'union méditerranéenne, organisée samedi 3 novembre 2007 à Alger. Voici le texte de son intervention:
Je remercie les organisateurs de nous avoir donné l’opportunité de débattre de ce thème, qui constitue un enjeu important de notre devenir commun.
Parler de la Méditerranée, c’est tenter d’examiner le passé et le devenir de cet espace géographique qui a été le berceau des civilisations, qui a été aussi
l’épicentre des chocs de ces mêmes civilisations. Même si on ne les évoque pas, chacun d’entre nous porte les stigmates de cette période d’affrontements.
Cela signifie aussi avoir l’ambition de construire un avenir commun, respectueux des valeurs et des différences, un avenir qui s’appuie sur des valeurs communes,
partagées, et si ces valeurs ne sont pas partagées, il faut qu’elles soient acceptées et respectées.
Que dire aujourd’hui, pour ou contre cette idée d’union ? Je suis un partisan de l’union méditerranéenne, mais cela ne m’empêche pas de poser des questions et d’en
soulever les difficultés.
Je dirai d’abord qu’il est difficile de faire adhérer les Algériens à cette idée, car ils portent en eux trop d’échecs, ils ont connu trop de déceptions et ils ont
eu à vivre avec trop de promesses non tenues. Dépasser cette situation et amener les Algériens à pardonner et à oublier les échecs du passé ne dépendra pas seulement des nouvelles promesses et
perspectives qu’offre cette union aux états membres et aux communautés qui habitent la méditerranée. Il en faudra bien plus. Il va falloir d’abord lever les obstacles qui l’empêcheront de se
concrétiser, obstacles qui étaient là et qu’on a occultés ou négligés. Ils nous ont menés à l’échec.
Peut-on envisager de fédérer des économies si décalées et si inégales, et des communautés si différentes ? Peut-on fédérer des pays gérés par des systèmes si
dissemblables ? Ne faudrait-il pas commencer par un engagement envers les sociétés ? Pour le moment, l’initiative s’adresse aux régimes et aux institutions en place. Les pays du
sud sont dirigés par des régimes autoritaires qui refusent les règles élémentaires de l’exercice démocratique du pouvoir et du contrôle de cet exercice. Ils donnent l’impression de renoncer à
construire un avenir pour leurs peuples.
En Europe, vous êtes en mouvement. Nous, nous ne le sommes pas. Plus grave, nous subissons les répliques négatives de ce mouvement, tant nos régimes sont éloignés de
leurs populations. Nous subissons ainsi les effets pervers de la mondialisation, en ce sens que celle-ci a créée des conditions qui poussent les pays du nord à montrer une forme de proximité avec
nos dirigeants. Ceci ne fera qu’accentuer l’éloignement entre nos régimes et les populations.
Adhérer à l’idée d’union doit nous amener à détruire l’idée en vogue selon laquelle le contrôle de la contestation et des oppositions dans les pays du sud passe par
des régimes autoritaires, une idée selon laquelle la démocratie débouche sur la violence et les attentats. On préfère donc des régimes autoritaires, non démocratiques, sous prétexte que
l’expérience démocratique ne présente pas de garanties de succès dans nos pays. Pourtant, ce sont ces régimes autoritaires qui ont débouché sur la crise, qui ont engendré les échecs économique,
éducatif, social et sécuritaire. C’est l’absence de démocratie qui a conduit à l’impasse.
Quand j’étais aux affaires, j’ai eu à discuter avec le directeur général de la Banque Mondiale, et j’ai eu à discuter des conditionnalités : je voulais que
l’assistance de la Banque ne soit pas confiée aux mêmes structures qui sont à l’origine de la faillite économique. De manière plus générale, les programmes du FMI et de la Banque Mondiale ont
échoué parce que les mécanismes politiques qui ont généré l’échec ont été chargés de gérer l’ajustement.
Pour revenir à l’idée d’union méditerranéenne, je la soutiens par conviction et par égoïsme. Je la soutiens parce que c’est une opportunité pour mon pays de sortir
de l’impasse.
Ceci m’amène à poser un autre problème essentiel, le système de gouvernance de nos pays. On a eu à débattre longuement des problèmes de financements, de procédures
et d’institutions. On a évoqué les échecs du processus de Barcelone et les 5+5. Pourquoi toutes ces initiatives n’ont pas débouché, alors que tout le monde a affirmé son adhésion ? L’échec
s’est produit lors de la mise en œuvre. Quel que soit la nature du projet, il est voué à l’échec lors de sa mise en œuvre, indépendamment de ses objectifs et de sa générosité, si les systèmes
chargés de les mener ne sont pas aptes à le faire.
Pendant les débats, nous avons noté des difficultés dans la définition même de l’initiative de cette union méditerranéenne. Ceci montre que ses promoteurs eux-mêmes
n’ont pas déterminé encore ses contours exacts. M. Vedrine a parlé d’une approche pragmatique. Je ne suis pas contre, mais on ne peut occulter l’état de gouvernance de nos pays face à n’importe
quelle initiative et à sa concrétisation. Il faut bien se rendre compte de cette évidence : l’Algérie n’a pas les capacités pour mettre en œuvre cette démarche.
Je voudrais conclure sur un autre registre qui me semble primordial. Dans les relations entre les pays du sud de l’Europe et le Maghreb, la démarche, en matière
économique, s’est limitée jusque là à arracher des contrats et préserver quelques activités captives. En Asie, les Etats-Unis et le Japon ont adopté une autre démarche. Ils ont poussé les pays
d’Asie à se développer. Le résultat est là : les marchés de ces pays nouvellement développés ou émergents constituent un formidable appui aux économies américaine et japonaise.
Je vous remercie
Le discours de M. Mouloud Hamrouche est disponible sur le site suivant :
http://www.reformes-et-libertes.com/