on se contente des pronostics politiques.
Toute l'Algérie est partie à la pêche. Le dernier en date à opter pour cette activité est M. Abdelaziz Ziari, président de l'Assemblée nationale. Il ne s'agit pas de la pêche à la ligne, ni de la pêche aux voix pour une élection. Il s'agit de la pêche à l'information, autour d'un choix décisif pour l'avenir du pays : comment le Président Abdelaziz Bouteflika va-t-il gérer sa position sur la question du troisième mandat et sur la révision de la Constitution ? C'est, désormais, la question centrale qui agite tout le pays et la plupart des chancelleries. A quatorze mois de l'échéance des élections présidentielles, les scénarii les plus élaborés et les plus fantaisistes circulent autour de ces mêmes questions : M. Bouteflika a-t-il fait un choix définitif sur la question ? Quand va-t-il l'annoncer ? Et comment va-t-il procéder ? A priori, tout indique que le président de la République entretient délibérément un suspense pour deux raisons. D'une part, il veut se ménager une marge de manoeuvre conséquente avant de s'engager pour un troisième mandat.
D'autre part, il veut entretenir un semblant de vie politique dans le pays, car s'il annonce ses choix trop rapidement, le pays ne pourra plus fonctionner. En effet, s'il brigue un troisième mandat, toute l'Algérie officielle et para-officielle se mettra en mouvement dans cette direction, brisant le reste de l'activité politique, économique et sociale. A l'inverse, s'il annonce qu'il ne se représentera pas, le pays le délaissera pour se tourner ailleurs, et chercher dans quelle direction le vent va souffler.
Dans une telle conjoncture, les déclarations de M. Abdelaziz Ziari, affirmant que la révision de la Constitution aura lieu en mars ont peu de sens. Il n'est pas le premier à avoir fixé des échéances et des modalités pour la révision de la Constitution. Avant lui, M. Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement et du premier parti du pays, a fait plusieurs annonces. Elles n'ont jamais été confirmées. Selon le Premier ministre, la révision de la Constitution aurait dû avoir lieu il y a deux ans. C'est dire que les déclarations publiques sur ce sujet sont, pour le moins, légères. Nombre de ministres se sont également aventurés sur ce terrain, avant de rentrer discrètement chez eux. D'autres ont choisi de parler sous le sceau de l'anonymat, promettant qu'ils détiennent leurs informations de « qui vous savez ». En vain. Aucun pronostic ne s'est révélé fondé.
Ces hommes politiques se rendent-ils compte que, dans cette entreprise, ils ont abouti à un seul résultat, celui de perdre toute crédibilité aux yeux de l'opinion ? Plus personne ne prend en effet leurs déclarations. Avec des effets destructeurs sur l'idée même que se font les Algériens de la politique en général, et des hommes politiques en particulier.
Il faut alors bien admettre que la crédibilité n'est pas le souci premier des hommes politiques. Leurs déclarations se situent donc dans un autre cadre, et ont d'autres objectifs. C'est un jeu dans lequel chacun participe dans sa propre logique. Le responsable de l'association de Aïn-Defla de lutte contre l'analphabétisme a demandé la révision de la Constitution pour satisfaire une demande de l'administration locale. Le ministre ou le président de parti obéit, pour sa part, à une autre logique, qu'il s'agisse de rappeler sa présence ou pour augmenter la pression sur le chef de l'Etat.
Mais parmi tout ce monde qui piaffe d'impatience, deux réalités s'imposent. En premier lieu, personne ne sait exactement à quoi s'en tenir. Personne ne sait ce que veut réellement le chef de l'Etat, qui se contente pour le moment d'observer et de noter les bons et les mauvais élèves. Il sait que la maîtrise du calendrier est un élément central dans tout ce processus. Il veut contrôler le « timing », et être le seul à donner le « tempo », disent les experts. En second lieu, à force d'aller à la pêche, quelqu'un finira un jour par attraper un poisson, et donner ainsi la bonne date à laquelle le chef de l'Etat annoncera sa décision.
Cela finira par arriver un jour ! Celui qui donnera la bonne réponse gagnera le jackpot, car il apparaîtra comme l'homme le mieux informé du pays. Mais entre-temps, quel suspense ! A moins de regarder les choses sous un autre angle, et de faire ce constat : personne, dans le gouvernement, ne sait réellement quelles sont les intentions du chef de l'Etat. Les ministres, les partis de l'alliance, les associations périphériques, et toutes les structures qui affirment matin et soir leur allégeance au président de la République et leur soutien indéfectible à son programme dont ils ignorent le contenu, tout ce monde ne sait pas quelle sera la décision du chef de l'Etat, ni quand il la prendra. Cela ne les empêche pas d'être des hommes politiques, de passer à la télévision, de regarder les Algériens dans les yeux et de leur promettre la lune.