L’économie algérienne n’a pas subi les effets du mini-krach
boursier de lundi 17 mars. Miracle, ou absurdité économique ?
par Abed Charef Quotidien d'oran 20 mars 2008
Pendant que M. Abdelhamid Temmar préparait un nouveau plan pour les PMI, une nouvelle alerte, beaucoup plus sérieuse, secouait l’économie mondiale. Car si les propos d’un ministre algérien ont
peu d’influence sur l’activité économique, le monde, lui, continue de s’agiter à un rythme jamais connu auparavant.
En une seule journée, plusieurs limites symboliques sont tombées. Le dollar est descendu sous la barre des cents yens, et sous la barre d’un franc suisse. Par rapport à l’euro, il s’apprêtait à
passer la barrière de 1,60 dollar pour un euro. Au moment du lancement de l’euro, le dollar valait exactement le double. Des chiffres abstraits, destinés à un autre monde ? Non. Ils touchent
l’Algérie de plein fouet. D’abord par les réserves de change, qui ont perdu une bonne partie de leur pouvoir d’achat. Les 110 milliards de dollars de réserves ne valent plus que 68,7 milliards
d’euros ! La même somme, détenue en 2001, aurait valu presque le double.
Ce glissement tectonique de la première monnaie mondiale a des répercussions si grandes que leur seule évocation suffit à provoquer une panique dans la finance mondiale. Les Bourses plongent,
Tokyo retrouvant un niveau antérieur à celui d’août 2005. La crainte d’une récession est omniprésente. A tel point que la réserve fédérale américaine décide de changer un de ses principaux taux
directeurs en pleine nuit, après l’écroulement d’une grande banque, rachetée par sa rivale pour 236 millions de dollars. Pourtant, le seul siège de la banque achetée, Bear Stearns, vaut quatre
fois plus ! Son prix réel serait quinze fois supérieur.
S’agit-il là encore d’histoires, d’un autre monde, sans rapport avec l’Algérie ? Non. Certes, la Bourse d’Alger n’a pas subi les effets de ce qui se passe, comme elle a n’a pas subi les
conséquences des « subprimes ». Les actions de Saidal, Algérie Télécom, l’Aurassi et Air Algérie n’ont d’ailleurs connu aucune variation durant la séance du fameux lundi 17 mars. Mais si la
Bourse d’Alger, qui fonctionne hors temps, reste aussi inutile qu’insensible à ces soubresauts vertigineux, l’économie réelle est, elle, fortement perturbée par toutes ces variations. A un point
tel qu’il n’est plus possible de cacher les artifices grossiers entourant les bilans officiels de l’économie algérienne. Une institution reconnue sur le plan international a ainsi publié une
étude sur l’économie algérienne, étude qui montre tout le ridicule des chiffres officiels. Alors que l’Office National des Statistiques annonçait un taux d’inflation de 3,5%, le Casey Research
faisait état, lui, de 12% d’inflation. Et la spirale continue. L’inflation importée est ainsi devenue un élément clé de l’évolution des prix dans le pays. Blé, lait, huile et de nombreux autres
produits ont connu une flambée des prix sur le marché international qu’il n’est plus possible d’occulter. Achetés en euros, ces produits subissent un double surenchérissement. Mais l’économie
officielle du pays continue de les ignorer. Dans l’incapacité de prévoir et d’anticiper, l’Algérie recourt au moyen le plus simple, le plus populiste, mais le plus antiéconomique : subventionner
à fonds perdus. Un spécialiste de l’agriculture estime qu’à ce rythme, le montant des subventions destinées aux céréales dépassera bientôt la valeur de la production ! Comment expliquer un tel
aveuglement envers ce qui se passe dans le pays et dans le monde ? Comment expliquer que les dirigeants d’un pays ignorent le réel, et continuent de vivre dans le dérisoire et le marginal ?
Incompétence, diront les uns. Course au pouvoir, ou aux privilèges, diront d’autres. Mais ces explications ne peuvent plus suffire. Car on est, depuis longtemps, au-delà de l’incompétence. On est
face à un système fini. Il va probablement en donner une nouvelle preuve dans les prochaines semaines, s’il se confirme qu’une loi de finances complémentaire est en préparation. Pour l’année en
cours, les recettes budgétaires ont été établies sur la base d’un baril à dix-neuf dollars, alors qu’il n’est pas loin de 119 dollars le baril ! Comment un gouvernement peut-il continuer à
diriger un pays et à décider du sort de trente millions d’Algériens après avoir fait preuve d’une aussi grande capacité à ignorer le réel ? Simplement en continuant à ignorer le réel. Dans la loi
de finances complémentaire, il reconduira les mêmes écarts entre le réel et la fiction dans laquelle il vit. Un pouvoir capable d’un tel exploit peut parfaitement ignorer le krach boursier qui
menace, faire la sourde oreille aux mutations majeures dans l’économie mondiale. Il peut même se permettre d’ignorer l’émergence de la Chine et du Brésil, et considérer comme insignifiant le fait
que les réserves financières du pays aient perdu plus de 30 pour cent de leur valeur.