Par : Blednet
Le début des grandes vacances, l’été qui s’installe au Québec et les multiples activités culturelles qui ont lieu partout en cette province ne sont guère propices, ces jours ci, à des actions de mobilisation de la communauté qui a traversé une première moitié d’année en dents de scie : accommodements raisonnables (!...), questionnement sur des États généraux, taux de chômage alarmant au sein de la communauté…
Cependant, et souvent dans l’ombre, certains de nos compatriotes continuent à avoir à cœur la situation de notre communauté. Ce sont des militants sincères, sérieux et désintéressés. Ils s’impliquent avec courage et expriment tout haut ce que, nombreux, pensent tout bas. Ils le font par conviction. Avec acharnement souvent.
Parmi ceux là, Rachid Raffa, que les 35 ans de vie au Québec n’ont pas réussi à lui ravir son amour pour son pays, sa culture et sa croyance, mérite qu’on l’encourage à continuer son œuvre sociale et communautaire. Il est de ceux dont on dit qu’ils ont du caractère et une personnalité certaine.
Le silence qu’il observe depuis sa retraite …publique annoncée dans sa lettre ouverte du 12 décembre 2007 (voir plus bas) ne doit pas nous le faire oublier. Bien au contraire, et si nous devons lui reconnaître le droit d’être fatigué, nous ne le laisserons pas agir de la sorte, car la communauté a besoin de personnalités aussi lucides et courageuses, telles que Rachid.
Il mérite notre reconnaissance pour le travail acharné qu’il a mené pour nous tous. Des distinctions sont décernées çà et là par des organisations communautaires tout au long de l’année et nul doute que cette fois ci sera la bonne en le distinguant comme la personnalité algérienne de l’année.
Cet appel sera-t-il entendu par nos organisations? En tout cas, la relecture de sa lettre ouverte du 12 décembre 2008 nous a convaincu que Rachid, ne doit pas se taire et aurait tant à faire encore pour que nous devenions …adulte en tant que communauté solidaire et forte!
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Un au revoir d’une petite greffe récente
mais fatiguée à la grande et vieille souche en crise
Par : Touhami Rachid RAFFA
Québec, le 12 décembre 2007
Je suis fatigué de vivre depuis 1975 dans une société que je croyais avoir faite mienne mais qui s’obstine à demeurer une société d’accueil.
Je suis fatigué de devoir convaincre mes filles nées ici qu’elles sont le fruit d’une greffe qui a réussi et qu’elles n’ont qu’à s’assumer pleinement comme Québécoises, en dépit du regard parfois lourd qui les fait « autres », séparées d’un « nous autres » servi à satiété, dès lors que leur nom est prononcé.
Je suis fatigué, comme mes coreligionnaires de tout l’Occident, d’être acculé à assumer une responsabilité par association pour quelques criminels fous de Dieu qui crachent sur ma foi avec le sang et les larmes de victimes innocentes. Fatigué d’avoir eu à lutter à quelques reprises avec l’intolérable sentiment d’être étranger, que j’avais pourtant réussi à réduire à des malaises passagers liés à des crises ponctuelles, assumant par la suite un fardeau à perpétuité, tel Sisyphe, me remettant au travail de lutte contre les sirènes du ghetto et pour l’intégration dans la culture publique commune du Québec.
Je suis fatigué d’avoir été sommé d’expliquer aux médias l’inadmissible et cruelle violence de certains musulmans à l’étranger – alors que cela relève d’un profond diagnostic multidisciplinaire qui n’est guère à ma portée – et plus encore de la condamner. Et d’être muselé quand je m’efforce de condamner bien d’autres violences qui, bizarrement, n’ont pas d’habillage religieux.
Je suis fatigué que mes amis en Algérie et au Maroc – pays de mes racines où je me rends pour un mois dès la mi-décembre – insistent pour que je donne sur place des conférences sur l’accommodement raisonnable, la caricature d’Hérouxville et le délire identitaire d’une partie de la grande souche. Pourrais-je y parler du Québec qui m’habite depuis 33 hivers, celui de mes amis et de ma liberté, celui de ma sécurité et de mon engagement social, celui d’une culture brillante qui fascine d’autant plus qu’elle émane d’un peuple si fécond mais pourtant peu nombreux.
Je suis fatigué de souffrir de la violence verbale et parfois gestuelle dont sont victimes des musulmans et des musulmanes, de la banalisation de l’arabophobie et de l’islamophobie, et aussi de l’inaction des victimes qui résistent à accéder à la culture du droit et des libertés qui leur permettrait d’obtenir justice et réparation pour une dignité indûment bafouée.
Je suis fatigué des querelles intestines des « communautés » musulmanes, encore confinées au stade primaire de l’imaginaire et obsédées par le ritualisme, les rapports entre les sexes, le culte du détail, et souvent « déterritorialisées » par leur attachement aux chaînes satellitaires d’Orient où ils perçoivent faussement le reflet de leur image absente de la production artistique et médiatique du Québec.
Je suis fatigué de devoir faire le douloureux constat de l’absence de l’élite musulmane qui n’est pas au service de sa « communauté », laissée aux prises avec un leadership où dominent l’incompétence, l’irresponsabilité, l’opportunisme, la démagogie et l’intérêt personnel.
Je suis fatigué de voir que les quelques bénévoles musulmans sincères et dévoués sont souvent écartés et parfois ostracisés, voire obligés de retraiter par des irresponsables dont la lâcheté a permis de donner naissance et audience – avec l’aide des médias – à un Saïd Jaziri trop longtemps toléré, si rarement dénoncé.
Je suis fatigué de lutter contre le sentiment d’étranger qui m’habite depuis une année et me tourmente car il est étranger à ma nature profonde, moi, arabo-berbère musulman du Québec qu’un ami israélite parisien définit comme un véritable juif errant tellement je me sens chez moi partout…Y compris en Israël et en Palestine que j’ai pu visiter en juin 2006 dans le cadre d’un voyage interreligieux, même si ce projet n’a pas tenu toutes ses promesses. Le moindre lieu que je visite fait monter en moi le regret de ne pouvoir y habiter car j’entretiens avec entêtement l’idée que la terre est ma maison, même si j’habite la banlieue de Québec où je cultive l’illusion d’avoir planté une partie de mes racines.
Si fatigué que ce sentiment d’étranger m’étouffe car, contrairement aux expériences passées, il dure depuis une année et me force à changer d’air pour un temps…Le temps de tenter de me ressourcer dans mon Algérie natale si meurtrie et dans le Maroc de ma jeunesse. Je m’y sentirai, tout aussi étranger, le temps et l’espace ayant fait leur œuvre.
Je tâcherais de cultiver l’image du nomade ou du « passager » dans l’ultime acception du terme puisque nous sommes tous de passage sur terre…Et surtout de revenir plus combatif et avec l’espérance à laquelle est tenu le croyant que je prétends être.
Joyeux Noël et puisse 2008 être meilleure, Amen!
Au revoir, in cha’ Allah!