La Tangente impossible de Aziz Fares
Par Nassira Belloula
www.nassiralettres.over-blog.com
Fascination géométrique pour
une introspection psychologique
Les Arabes autrefois, avaient découvert grâce aux ombres, l’idée des tangentes (une longueur d’ombre à un moment de la journée ou des ombres calculés grâce à un bâton ou gnomon) mais ne nous enfonçons pas dans la géométrique et les mathématiques, mais plutôt dans l’introspection « tangente » d’Aziz Fares où il y a des impossibilités et des évasions ce qui nous renvois à des questionnements et des interrogations. Mais tout commence donc par une rumeur, une rumeur déferlante qui empoigne, qui nous renvois dos à dos avec nos fantômes et nos démons, et cette route qui se dessine devant nous longiligne, fallait-il donc reprendre cette route ? « Cette route qui ne venait de nulle part et qui ne menait à rien. » pourtant, psychologiquement cette route mène bien quelque part, irrémédiablement vers soi, dira le narrateur de La tangente impossible, parlait-il d’exil, de cet exil intérieur plus douloureux encore. Il nous renvoi donc au bout du voyage vers nous, chacun revient vers lui-même, mais ce soi, ce moi profond est-il - ce nulle part- « je vous écris de nulle part » ceci dit, ce nulle part existe bien « Et, d’ailleurs comment pourrais-je vous dire où je suis ? Quand l’exil vous a pris dans sa barque emportée par la bourrasque qui fouette le visage et le corps » L’écriture ici se mêle pour devenir témoignage et témoin à la fois et le lecteur est pris en faute, celui d’être « l’écouteur » car ce qui va se passer est déjà en lui, fermentant et grondant. La liberté, les mots doux, les mots amers, des souvenirs et des idées en sommes toute une vie, cette vie qui s’assemble dans ses pages et il s’agit finalement de se regarder en face, mais « attention ! L’illusion est dangereuse quand on persiste à ignorer la réalité » averti le narrateur qui sait que cette réalité, la notre, celle que nous avons tous vécus est amère, elle est pleurs, morts, déchirures, éclatements….le narrateur nous ressemble, car nous aimerions tous taire nos états d’âmes, tourner le dos à nos démons. Or, la déchirure est bien profonde en nous et la cicatrice tarde à venir. L’exil est apparu donc comme l’ultime solution, un choix douloureux mais l’enjeu était de taille, c’était celui de l’instinct de conservation. Aziz Fares plante le décor de son récit nous sommes en plein de cette décennie noire qu’il ne nomme pas, qu’il ne prononce pas mais elle est là, sombre et effrayante, elle écorche et éparpille nos sentiments et nos sensibilités, nos frayeurs et nos espoirs. Aziz Fares use du verbe comme il sait si bien le faire, mais cette fois-ci avec une différence, il y a de l’émotion et de la fureur dans le texte, dans les textes car tout se suit comme un délire beau et fou, des lieux indéfinis et le temps bien précis, les heurs et les matins inscrits comme un journal de survivance, tenu pour se rappeler que tout est discontinu, tout est tordu d’où une tangente impossible, et n’est-ce pas que « s'échapper par la tangente » s’est s'esquiver, se tirer d'affaire adroitement, or, ici nous n’arriverons pas à s’en sortir d’affaire car la douleur est là et les souvenirs aussi, parfois, imposants par le bonheur qu’il procure encore « j’aimerai tellement entendre le son de l’âtre qui crépite de bonheur et les pas aériens des enfants de l’espoir.» Il ne s’agit pas d’aligner ici des mots qui ne servent qu’à dire, qu’à écrire, c’est plus profond c’est une aptitude de l’esprit d’entrer en contact avec lui-même et c’est cela qui donne à l’écriture un cachet particulier. Il ne faut pas croire que l’exercice auquel s’est adonné Aziz Fares, celui de l’auto-analyse est réductible, c’est une parfaite « aventure » où tous les tiroirs ont été ouverts, ceux de l’amour, de la rencontre, des espoirs qui nous animent, des incompréhensions aussi. La rumeur, celle qui nous a prise en branle bas au début du texte, nous reprend, non pas désabusé mais repus de mots à la fin et quels mots.
Culture : LA TANGENTE IMPOSSIBLE DE AZIZ FARÈS Bleus de l’âme
Le Soir d’Algérie-5 juillet 2009
Rompre les amarres, partir, renoncer à tout ce qu’on a construit. S’arracher, se couper de ses racines, de ses souvenirs, de tout ce qu’on a aimé. Prendre un billet vers l’inconnu, vers cet ailleurs si lointain sans savoir s’il serait le meilleur.
La Tangente impossible raconte la souffrance endurée par l’auteur lors de son exil forcé. «Après des drames bien réels, kamikaze téméraire, j’ai peu à peu mis le cap vers des régions étranges où la découverte a pris un autre sens... Il a donc fallu tout abandonner. Et ce ne fut pas chose aisée», p 18 et 19. Confronté à la solitude et au déracinement qu’il vit comme un insurmontable déchirement, Aziz Farès nous livre ses pensées intérieures sous forme de mots et d’images qui s'enchaînent entraînant parfois un effet de brouillard chez le lecteur. Ce dernier devra lire entre les lignes pour saisir certaines situations. L’auteur souffre le martyre. Il vit son exil comme un déchirement. Le sommeil le fuit, la solitude l’enveloppe dans ses tentacules, la dépression le guette. «Je voudrais tellement que le son de ma voix rencontre une autre oreille que la mienne, que mes paroles ne disparaissent emportées par le silence. Alors j’écris car au moins je peux relire et me donne l’impression fugace, mais si utile d’exister à travers un autre regard», p 46. Et puis, ne voilà-il pas que le doute s’installe ! L’auteur s’interroge : faut-il refaire le chemin inverse et repartir à la case départ? «Partir, repartir sur une tangente mouvante, instable qui m’oblige à déployer des trésors d’inventions pour ne pas être éjecté hors de l’espace auquel je m’accroche, auquel je m’écorche», p 35. Introspection, face à face avec soi-même, états d’âme : tout sera noté dans un petit journal intime, seul témoin de cette descente aux enfers. Des mots qui exorciseront peut-être la douleur. Après le blizzard et le froid glacial, une fenêtre s’ouvre et un rayon de soleil timide s’invite. Une note d’espoir pour tous les exilés.
Sabrinal La Tangente impossible de Aziz Farès. Editions Mille feuilles, 2009