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MADINA


Chronique : À fonds perdus

Publié par albra alhambra sur 18 Décembre 2007, 16:07pm

Hamrouche, Saint-Simon et vertus du droit
Par Ammar Belhimer 
(Le soir d’Algérie du 18 déc 2007)
 
 
Les interventions publiques de M. Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement, se font de plus en plus nombreuses dans les cercles d’étude et de réflexion. Elles présentent un intérêt indéniable dans notre quête de décryptage et de grilles de lecture d’une réalité tout aussi opaque et visqueuse que pesante et déprimante.
A la question de savoir «pourquoi les régimes politiques arabes ne sont pas démocratiques ?» M. Hamrouche y voit d’abord «le révélateur d’un paradoxe tenant à l’intérêt des Algériens pour le débat politique, d’une part, et à l’insuffisance, sinon l’absence, d’espace pour abriter ce débat, d’autre part.» Dans «l’ébauche du processus de démocratisation» qu’il propose, il insiste sur la place et le rôle des élites et souligne les enseignements qu’il convient de tirer de «la tentative algérienne de démocratisation» - en fait la sienne. «Les élites, ainsi que les institutions, jouent un rôle primordial dans ces adaptations. Les sociétés se gouvernent par des règles qui sont le fruit de l’expérience, de l’accumulation et par la synergie de toutes leurs composantes sociales.» Les élites sont ici le ferment, nécessaire et suffisant, des armistices sociaux que sont les institutions et les règles qui scellent les compromis historiques et gouvernent par conséquent pacifiquement les sociétés. Parce qu’elles sont ainsi le levier incontournable de toute démocratisation, l’ancien chef du gouvernement suggère «une évaluation sans concession des comportements, des attitudes et des influences de ces élites», grossièrement délimitées comme étant « ceux et celles qui dominent et influencent au niveau de la justice, de l’armée, des administrations pérennes et des représentations sociales, politiques, syndicales, économiques, scientifiques, culturelles». En somme une définition fonctionnelle qui va, plus loin, constituer le premier obstacle à la formulation d’une problématique de rupture radicale. Plus exactement, l’orateur évoque certainement les intellectuels organiques du pouvoir ou du système, ses progénitures et ses serviteurs, plutôt que les détenteurs de ce que Marx appelle «la critique impitoyable du système». Ce faisant, M. Hamrouche révèle une vocation qui se dessine en filigrane, celle d’un saint-simonien, au sens générique du terme. Sa trajectoire personnelle n’est certainement pas étrangère à cette vocation. Elle l’a doté d’une parfaite connaissance des arcanes du pouvoir et de ses modes de cooptation. Il y a plusieurs raisons à cette filiation qui présente l’intérêt de le situer dans un courant d’idées. Un exercice qu’il mérite d’autant plus qu’il échappe aux discours stériles de pouvoir en place. Hamrouche saint-simonien, on le confirme aisément à partir de la primauté qu’il accorde à l’économique sur le politique, puis du culte certain qu’il voue à l’organisation et, enfin, du pouvoir qu’il accorde aux élites. La philosophie de M. Hamrouche est organisatrice. Elle repose sur l’éducation et l’instruction, comme le socialisme de Saint-Simon était technocratique. Une sorte d’industrialisme des temps modernes qu’autorise le transfert du pouvoir aux industriels et entrepreneurs, ingénieurs, cadres et autres sociétés ou sphères savantes. En ce sens, le cynisme que soutenait Saint- Simon à l’endroit de la France de l’Ancien Régime, Hamrouche pourrait en faire sien s’agissant de l’ordre rentier local : «Si la France perdait dans chaque science, chaque art, chaque industrie, chaque métier, les cinquante premiers, elle deviendrait un corps sans âme ; tandis que si elle avait le malheur de perdre le même jour tous les proches parents du roi, tous les ministres, maréchaux et membres du Conseil d’Etat, tout le haut clergé, tous les préfets, sous-préfets et magistrats, tous les employés dans les ministères et les dix mille propriétaires les plus riches, cet accident affligerait certainement les Français parce qu’ils sont bons, mais il n’en résulterait aucun mal politique.» Tout comme Saint- Simon, la radicalité du discours ne fait pas de son auteur un révolutionnaire, au sens usuel du terme, un chantre de la violence ou des barricades. Il est partisan d’un processus de changement «raisonné», au sens où il émanerait également du système ; ce qui, dans sa bouche, est traduit par : «un exercice institutionnel et légal du pouvoir». Comme si la structure générique était idoine et que mal tenait à celle qu’elle subit comme gangrène du fait d’un horrible habillage, des cloisons croulant sous le naufrage du temps et de toutes les perversions. Les revêtements, les muscles, les nerfs — autant de greffes — auraient rendu le squelette initial méconnaissable. Un autre point commun étaie notre thèse de la filiation saint-simonienne : le refus de l’obéissance qui a marqué l’Ancien Régime prend ici la forme d’une ferme revendication des libertés, hors de toute manipulation et instrumentalisation. Ce que Hamrouche traduit par «la confusion entre l'étatique, le sécuritaire, le politique, le religieux, l'économique, le social et le culturel. Revêtue de tous ces habits, la gouvernance est devenue un ordre autoritaire établi sans nuance, sans limitation et sans contrôle. Mieux, elle s'est ordonnée législateur en chef, policier en chef, juge en chef et imam en chef». Le changement qu’il suggère ne peut donc émaner ni de la rue, ni des barricades. Comme Saint-Simon, c’est un homme d’ordre et de droit, partisan d’une rupture maîtrisée qui n’autorise pas la démesure, la bêtise, la surenchère et l’extrémisme. Même menée au pas de charge, c’est encore une fois une rupture «raisonnée». Dit par M. Hamrouche, cela donne la formulation suivante : «Un changement initié en dehors du régime ne peut aboutir, mais un processus de démocratisation ne peut s'élaborer en vase clos en dehors de la société et sans son contrôle. Le processus de changement doit venir simultanément de l'intérieur du régime et de la société.» Bien que manquant «cruellement d'appuis et de soutiens affichés», la «brèche» qu’il a gérée au lendemain d’Octobre 1988 a fait de lui un visionnaire incontournable au sens où il cultive à la perfection l’art de décrypter et de devancer les événements. «Refusé par la bureaucratie politique, repoussé par des élites au pouvoir, rejeté par des porte-parole de la contestation», le premier processus d'ouverture a été dévoyé «en un pluralisme factice, une perversion de la politique et une corruption de l'élection». L’histoire témoignera si, la vacuité du système allant à son terme, elle ne lui prêtera pas une vocation messianique. On peut le déplorer ou le combattre, le saluer ou l’espérer, mais l’idée semble faire son chemin. Affinant son idée de l’obéissance et de la soumission comme mode de pouvoir en ces contrées maudites, Hamrouche estime que le «modèle arabe de gouvernance est une survivance du système colonial. Les gouvernants sont dans un rapport de domination et non dans un rapport de force. Ils distribuent la rente et les privilèges. Ils redoutent les mécanismes de création de richesses. Ils craignent l'autonomie des citoyens et de la société. C'est pour toutes ces raisons qu'ils écartent la modernisation de la gouvernance, se méfient des institutions autonomes, des partis politiques et de la représentation et la représentativité sociales». Comme en témoigne l’échec des politiques d’ajustement interne et de réformes qui n’hypothèquent pas la souveraineté nationale, les groupes dirigeants dans le monde arabe, Algérie comprise, peinent toujours à convenir d’un «point d’équilibre» stable et durable qui rende possibles les compromis nécessaires aux ajustements requis par l’obsolescence de leur mode de gouvernement. C’est en parasitant les structures en place, au moyen d’une instrumentation juridique forcenée, dans un élan fortement mystificateur du droit, que Hamrouche et ses premiers appuis ont entrevu «la brèche» salvatrice. En réveillant les forces du marché et de l’ouverture politique, ils espéraient susciter les relais nécessaires à l’enracinement des nouvelles règles au sein de la société. Ce faisant, ils avaient conscience que le temps avait un coût et que les actions méritaient d’être synchronisées. Jamais le pays n’avait disposé d’un tableau de bord aussi élaboré et synchronisé, qu’il s’agisse des corrélations entre actions entreprises ou des délais requis. A l’expérience, il se confirme que les artisans de l’ajustement interne en vue de l’économie sociale de marché avaient surestimé la vertu opérative de la seule norme de droit et l’interruption de leur parcours est venue confirmer que la loi ne pouvait pas tout si les conditions sont telles que l’on ne peut en imposer l’application, soit que les obstacles sont trop forts, soit que le soutien soit trop faible. C’est justement la sous-estimation et le mépris de l’utilité de la caution juridique qui permettent au noyau dur de persister dans les raccourcis autoritaires, quitte à brader les bijoux de famille.
A. B
 
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