Les bébés Lala de la démocratie.
''La pire des démocraties est de loin préférable à la meilleure des dictatures..''
Ruy Barbosa.
À chaque fois qu'une personnalité publique déclare publiquement qu'il n'irait pas voter, j'ai envie de hurler. Je pense à tous ceux et celles qui ont sacrifié leur vie pour que la démocratie triomphe. Pour qu'elle passe d'une main à l'autre tel un flambeau qu'il faut garder allumé quoi qu'il arrive. Déclarer publiquement que ''je n'irais pas voter'' c'est une insulte à la mémoire des anciens. Une insulte envers ceux et celles qui mènent actuellement un combat quotidien pour introduire et cultiver la démocratie dans leur pays. Des milliers d'hommes et de femmes croupissent dans des oubliettes avec le sentiment du devoir accompli. Ils croient fermement que c'est le prix à payer pour que leurs concitoyens puissent un jour jouir du droit de vote.
Sur l'échelle mondiale, la démocratie demeure encore un privilège qu'apparemment certains gâtés des démocraties occidentales ne savent pas apprécier.
Quelque soit les arguments qu'ils avancent pour justifier leur décision de ne pas aller voter, ces personnalités publiques oublient que, même dans les régimes démocratiques, la démocratie est toujours en construction. Voter en grand nombre est un moyen parmi d'autres pour contribuer à son évolution. Le philosophe français Jacques Dérida dit ''Être démocrate, ce serait agir en reconnaissant que nous ne vivons jamais dans une société assez démocratique''.
Quand au cynisme des citoyens envers la classe politique, ils en sont eux-mêmes en grande partie responsables. Les politiciens ne sont pas des extra-terrestres. Ils sont le miroir de ce que nous sommes. Ne pas aller voter c'est se renier soi-même. C'est lâche.
Faire le procès de la classe politique est devenu un sport facile auquel participent aisément certaines personnalités publiques. Racoleurs! Et si on faisait plutôt le procès de l'opinion publique ? Quand j'entends ces personnalités, telle que Marie-France Bazzo (dans sa dernière chronique au Journal de Montréal), parler ''des hommes et des femmes, des gens ordinaires'' qui seraient ''tannés de campagnes à répétition'', donc victimes de démagogie et de manipulation politique, je les trouve tout aussi démagogiques que certains politiciens. Et si les médias faisaient leur propre examen de conscience pour évaluer à quel point sont-ils responsables du cynisme débordant de l'opinion publique. Quand est-ce qu'une personnalité médiatique telle que Marie-France Bazzo fera-t-elle le lien entre le faible taux de participation au vote et les discours des médias sur la politique..?
Au lieu de contribuer au cynisme par le cynisme, ces personnalités publiques devraient jouir de leur notoriété pour faire de l'éducation populaire. Qu'elles exigent de nos médias de donner de la place à d'autres formes d'analyses politiques. Pourquoi invite-t-on toujours les mêmes analystes qui nous parlent plus de politiciens que de politique..? Plus des jeux de coulisses que d'enjeux réels. Oui les politiciens font des spectacles politiques à coup de clips parce qu'ils savent que la bataille de l'opinion publique passe par des médias avides de spectacles, de scoop et de sensations qui augmentent leur côte d'écoute. Faire la politique autrement c'est aussi l'exposer autrement. Qui parmi ces personnalités publiques va oser dénoncer le rapport incestueux entre politique et médias..?
Oui, je vais aller voter le 8 décembre et j'invite tous mes concitoyens de ne pas entendre les mauvaises langues. Ceci dit, je les invite aussi à faire de la politique leur affaire. Entre deux élections, ils ont d'autres moyens pour former l'opposition parallèle, celle qui a fait avorter le projet du Suroît, le financement à 100% de l'école juive et la vente du Mont-Orford aux intérêts privés. Celle qui, mine de rien, s'avère parfois plus efficace que l'opposition officielle. Mais quelque soit sa forme, directe ou participative, la démocratie doit user de tous les moyens à sa disposition pour redonner sens au pouvoir du peuple par le peuple.
Oui, j'irai voter le 8 décembre en ayant une pensée particulière pour un homme. Je l'avais croisé le 14 avril 2003 dans un bureau de scrutin à Montréal. Il faisait la file et attendait son tour pour exercer son droit de vote. Cet homme avait une larme à l'œil. Très ému de savoir qu'il allait voter pour la première fois de sa vie, il me racontait qu'au pays d'où il venait, la seule fois où il avait failli voter, une vague de violence l'avait empêché de sortir de chez lui.
Je ne sais pas pour qui il avait voté, mais ce 14 avril 2003, c'était de toute évidence son premier rendez-vous avec la démocratie, avec la liberté.
Le 8 décembre, je vais me joindre à cet homme parce que la santé que nous sommes nombreux à vouloir améliorer au Québec est aussi celle de la démocratie québécoise. Et ce n'est pas en n'allant pas voter qu'on y arrivera.
Mohamed Lotfi
Journaliste et réalisateur radio
Bébé Lala : Un adulte qui veut rester enfant ou qui refuse de
grandir, immature.