L’instabilité politique ouvre la voie à la crise économique au Canada
De notre correspondant au Canada
Youcef Bendada
Le vote de confiance qui devait faire tomber le gouvernement n’a donc pas eu lieu et M. Harper peut s’enorgueillir d’avoir «sauvé le pays du chaos» et évité «un coup d’Etat», selon ses propos mêmes, lui que l’opposition accuse d’être arrogant et même pyromane et régionaliste ! Vous avez bien lu et les qualificatifs utilisés par l’opposition seraient presque justifiés au regard de la tension qui n’a pas cessé de monter au cours de la semaine d’enfer qu’a vécue le Canada.
Cette crise, rappelons-le, est née suite à la présentation d’un énoncé économique ou minibudget actualisé présenté par le gouvernement suite à sa réélection près de deux mois plus tôt, et dont la légèreté des dispositions de lutte contre la crise économique n’ont pas emporté l’agrément des partis d’opposition. Ces derniers n’attendaient que l’occasion d’allumer le feu, alors qu’ils allaient être dépouillés du financement public, que ce même budget s’apprêtait à instaurer. Mal lui en prit, car les réactions des opposants, qui ont décidé de voter contre ce budget, ont poussé le Premier ministre à retirer la disposition sur le financement des partis. Ce recul de M. Harper a été la brèche que saisit l’opposition pour exiger un programme de relance plus consistant pour l’économie, faute de quoi elle menace de ne pas voter le budget et de faire tomber le gouvernement pour prendre le pouvoir, conformément aux dispositions constitutionnelles, avec l’assentiment de la gouverneure générale. Mais les choses n’ont pas pris l’allure espérée, cette dernière agréant la requête de M. Harper.
Crise politique et instabilité : terreau fertile pour la crise économique
Sentant le danger, malgré le sursis accordé par la «chef d’État», le Premier ministre décide de jouer son va-tout en exacerbant les
tensions entre les provinces en se plaçant sous la protection de sa région, l’Ouest, déniant à une coalition de partis d’opposition le droit de le chasser du pouvoir, puisque même minoritaire,
son gouvernement a été élu. Sa légitimité, il l’exploite à fond en s’appuyant sur sa région qu’il appelle à la rescousse pour empêcher «des socialistes et des séparatistes» de le renverser !
En fait, fortement implanté et bien élu en Alberta et en Colombie-Britannique (ouest du pays), M. Harper a mis en avant cette appartenance pour juguler les tentatives de la coalition formée pour
le défaire et prendre le pouvoir d’un pays que la crise épargne, momentanément, mais que la proximité des États-Unis et l’imbrication des relations économiques avec ce voisin du Sud ne sauraient
tenir à l’écart plus longtemps.
D’ailleurs, les nouvelles ne sont pas bonnes pour les Canadiens car l’économie américaine s’enlise de jour en jour, et les indicateurs sont loin d’être réjouissants.
Depuis un an, l’économie de l’encombrant voisin du Sud sombre lentement mais sûrement. En effet, et après avoir été technique, la récession révèle son caractère le plus dramatique avec des pertes
d’emplois par centaines de milliers (325 000 emplois perdus en novembre seulement), un secteur des services, dont l’importance n’est plus à faire dans la première économie mondiale, qui est en
chute libre selon les analystes se basant sur l’indice ISM qui est le baromètre de cette activité, et, surtout, au regard d’un taux de chômage de près de 7%, soit le niveau record de 1993.
Les conséquences de cette situation sont visibles au Canada qui voit son dollar, lequel avait atteint des sommets les deux dernières années avec une remontée spectaculaire qui lui a permis de rattraper son retard sur la monnaie américaine et même de la surpasser, subir une dépréciation aussi brutale que fulgurante de 25%. Cette dépréciation n’est pas près de s’arrêter avec cette crise politique qui s’installe et qui n’arrange guère, les affaires des investisseurs, lequels commencent à réviser leur stratégie, notamment ceux qui ont misé sur le pétrole albertain, extrait des sables bitumineux.
En effet, ce sont des centaines de milliards qui sont en jeu dans ce secteur en plein boom avec un prix du baril qui
avoisinait 150 dollars, il y a quelques mois. Aujourd’hui, et avec des prédictions d’un baril à 25 dollars, en 2009, nous sommes bien loin de l’euphorie qui avait cours dans l’Ouest canadien. On
le sait, l’instabilité et les investissements ne font pas bon ménage. Mais lorsque la récession s’en mêle, la situation devient alors compliquée.
2009 : année de tous les dangers ?
Les chiffres sont là. Ils sont têtus et révèlent une certaine fragilité de l’économie qui a le mieux résisté à la crise, en comparaison des autres pays membres de l’OCDE. Mais, dans une économie ouverte, tout a un début. Ainsi, à la Bourse qui n’en finit pas de dégringoler, voilà que le secteur manufacturier connaît des couacs avec la perte de milliers d’emplois, comme c’est le cas de l’industrie automobile dépendant des grands fabricants américains comme GM, Ford et Chrysler qui peinent à trouver l’aide pour leur survie auprès des autorités américaines.
Ce secteur, qui emploie 450 000 travailleurs au Canada, fait un appel pressant au gouvernement afin d’obtenir les aides nécessaires à
la survie de cette industrie. Pour le moment, aucune réponse n’est venue encourager cette branche sensible et si la construction est touchée, les ventes d’autos seront en chute libre. Ce n’est
pas le seul secteur qui a besoin d’une véritable politique de soutien, car, dans celui du papier, l’un des segments les plus importants dans la matrice de l’emploi, nous assistons à des
fermetures d’usines dans certaines régions avec des milliers de travailleurs mis au chômage.
Après avoir maintenu quelque peu le rythme de croissance au minimum, le gouvernement est forcé de reconnaître que l’économie est en récession. Cette situation risque d’être aggravée avec la baisse des prix des matières premières dont la demande diminue du fait de la récession qui touche les pays importateurs.
Avec un Parlement mis en congé et dont les travaux ne reprendront qu’à la fin de janvier 2009 pour la présentation du budget, il faut dire que la situation n’est pas brillante et l’économie devra naviguer à vue. C’est cette situation qui fait dire à l’opposition que le Premier ministre a abandonné les Canadiens et cette suspension de la Chambre des communes est une fuite en avant qui ne fera qu’aggraver la situation. Mais M. Harper, en économiste intelligent doublé d’un stratège politique, sait que cette trêve obtenue, en adéquation avec les règles constitutionnelles, va lui permettre de tout mettre en œuvre pour diaboliser davantage les partis d’opposition et sans coup férir leur administrer le coup fatal en mobilisant l’opinion publique contre eux, en invoquant sa légitimité et en leur imputant l’instabilité et l’inertie gouvernementales en mettant l’accent sur leur tentative de lui ôter le pouvoir par la force.
Quant à l’opposition, passée très près de la prise de pouvoir, n’eût été le manque d’audace de la gouverneure générale qui aurait pu refuser la suspension du Parlement, elle aura le temps d’affûter ses armes pour asséner le coup fatal au début de l’année prochaine. En perspective, c’est un combat de titans qui se prépare entre deux forces d’inégale valeur : une opposition fragile et hétéroclite et un gouvernement fort et persuadé de sa légitimité. Cependant, à l’orée de la nouvelle année, et selon des estimations sérieuses, les Canadiens vont continuer à s’endetter pour acheter et dépenseront en quelques jours seulement, pour les cadeaux de Noël et de fin d’année, près de 3 milliards de dollars. Ce pactole ferait rêver bien des pays, mais en tout cas, la trêve de sept semaines obtenue par M. Harper, c’est comme du pain bénit car l’année 2009 sera pour son gouvernement celle de toutes les surprises, les partis de l’opposition lui ayant promis une réplique à la hauteur de sa «lâcheté» (celle d’avoir sollicité la fermeture du Parlement).
Y. B.